Il était une fois, parce que ça commence toujours comme ça, quinze minutes passées dans un magasin de fripes. J’avais une idée bien précise en tête alors j’arpentais les rayons de cette petite boutique que je n’avais encore jamais fréquentée. Pendant ce temps, une commerçante de la rue tentait, elle aussi, de glaner quelques trésors textiles. Ce faisant, elle profitait de ce temps presque libre pour raconter à la dame qui tenait le magasin ce qui l’habitait. « Ah, j’en ai marre. Franchement, ce n’est pas drôle, hein ? Tu ne trouves pas que les gens, ils râlent tout le temps. Non mais franchement, c’est tout le temps ! Ils râlent, ils ronchonnent et pendant ce temps là, ben, t’es bien obligé de les écouter et de dire oui, oui (en hochant la tête). Souvent, moi, j’ai envie de leur dire « mais rentrez chez vous ! ».Franchement, ce n’est pas drôle ». Et la petite dame derrière sa caisse lui répondant : « oui, oui… ».
Ah, c’était bien coquasse d’être là à ce moment-là. Moi, évidemment, je souriais dans ma barbe invisible en observant cette situation en abîme.
Je me suis alors souvenue des propos d’un sage dans un film que j’avais récemment visionné. Il n’était pas si grand alors de n’ai pas retenu son nom mais j’ai bien aimé sa proposition. Je vais la faire courte ! Il expliquait que ce qui nous gêne chez les autres rentre souvent en résonance avec une partie de soi non accueillie. Ainsi, il reconnaissait qu’il était bien impossible de ne pas juger. En tout cas, lui, n’y parvenait pas. En revanche, à la fin de chaque jugement jaillissant à son esprit, il ajouter désormais « comme moi ». Cela l’invitait à aller se rendre une petite visite à lui même pour s’accueillir chaque jour un peu plus pleinement.
Alors c’est vrai, ils sont ronchons les gens, non ? Comme moi !
Dans les collectifs que j’accompagne, très souvent, à la question « Quelles sont les conditions pour que votre parole soit libre ? », la première réponse est : le non-jugement.
En réalité, après des années de pratique et de vie dans les collectifs, je me rends compte que ce non-jugement est un vœu pieux, à ce jour, à ma connaissance, jamais atteint.
Pour ma part, je préfère la notion d’accueil. Accueillir l’autre, accueillir ce qui se passe en soi quand je suis en relation avec l’autre. Car au fond, derrière le jugement, le plus violent, c’est l’exclusion, l’étiquetage. Être enfermée dans une boîte qui me réduit ou enfermer l’autre, ce non-moi, dans une boîte qui le réduit, ce n’est pas respecter la dignité. Couper la relation parce que l’autre « n’est pas comme il faut », c’est s’exclure soi et exclure l’autre. J’ai souvent vécu cela, pour ma part, de couper sans avoir eu le courage de tisser, par peur de dire ce que je vivais dans la relation. Je me suis promis de ne plus le faire et je vois comme cela me demande de l’énergie d’aller chercher, en moi, mes ressentis, mon authenticité et de poser les choses sans violence, dans le respect de l’autre et de moi-même.
Dire à l’autre ce que je ressens, avouer à l’autre ce qui est important pour moi. Lui demander ce que ça lui fait d’entendre ça. Cela demande beaucoup de courage et une reconnaissance de sa propre valeur et de celle de l’autre. C’est tellement plus facile de tout balayer d’un revers de main et cataloguer…
A chaque fois que je fais cet effort, je m’en trouve grandie et l’autre aussi. Alors ça vaut bien la goutte de sueur, non ?