Il s’appelle Patrick est il travaille dans un garage automobile. Le présenter ainsi ne dit rien de la force de vie incroyable qui l’habite et qui fait qu’il est encore là aujourd’hui pour témoigner de sa traversée. J’ai écouté son récit ce midi, en buvant mon café et il m’a profondément émue et émerveillée.
Patrick aime son travail. Il aime le travail bien fait et respecter ses engagements. Quand il ne travaille pas, il s’adonne à une de ses passions : la pêche. Un jour comme tant d’autres, il se rend en bord de mer pour un temps de pêche avec des amis et, là, allez savoir pourquoi, sa vie bascule. Il tombe… Je vous passe tous les détails mais il est donné pour mort par les secours ; son cœur ne bat plus. Il ne peut plus bouger mais il est encore là et il ne sait pas comment le faire savoir. Il entend qu’on prévient sa famille de sa mort. Quelque temps plus tard, alors que l’on s’apprête à refermer la porte de la chambre froide où on l’a déposé, il sait que c’est le moment où jamais de montrer qu’il est vivant, qu’il est encore là. Il sait que c’est maintenant car plus tard car ce sera trop tard. Et là, il parvient à mobiliser toute son immense force vitale pour donner un coup de poing dans le sac dans lequel on l’avait enfermé, lui qui ne pouvait plus bouger et dont le coeur ne se faisait plus entendre. Bingo, la personne présente le voit et vous imaginez la suite.
L’histoire ne s’arrête pas là… Il sort de tout cela tétraplégique et c’est insupportable pour lui. Il est persuadé qu’il pourra remarcher alors il consacre tout son temps à son entraînement. Jour après jour, il s’entraîne. De dehors, tout semble rester immobile mais lui, un jour, perçoit le mouvement. Alors il ne lâche rien. Aujourd’hui il remarche, travaille à nouveau. Et profite de la vie : « Faire ce qu’on a envie de faire pour le bonheur de vivre. Prendre les bons moments et les mauvais moments, les écarter, c’est très simple… Je prends plus de temps pour les belles choses que je ne voyais pas avant, pas assez, alors que ça fait beaucoup. La vie est très simple en fait, si on ne se la complique pas ».
Comment vous dire… cette histoire m’a profondément touchée. Elle parle à la fois de la force et de la fragilité de la vie, de l’ordinaire et du merveilleux, de notre mouvement intérieur et de la manière dont il s’exprime à l’extérieur, de la vie et de la mort, de la mort dans la vie et la vie dans la mort… Elle m’a rebranchée avec cette évidence que j’ai intégrée un jour dans ma chair, lors d’un atelier d’écriture : nous sommes tous des êtres extraordinaires. C’est bon de se le rappeler pour retrouver le goût d’aller à la rencontre de l’autre, de son histoire et de la manière dont il vit son histoire.
Moi, j’ai souvent l’impression de croiser l’autre car je suis là mais pas là… je pourrais même dire que, parfois, je me croise moi-même !
Croiser dans les couloirs, dans la rue, se saluer, demander comment ça va sans entendre la réponse ou répondre « oui, oui, ça va » alors qu’en vrai non ! Et dans ce croisement, je suis capable de me faire des idées : « ouh, ça a pas l’air d’aller, elle… Décidément, elle ne peut pas m’encadrer… Ben, je sens bien qu’elle n’a pas du tout envie de me parler… ». Et pendant ce temps, je pense à ma to do list, à mes prochains pas et aux trucs que je ne dois surtout pas oublier.
Il m’arrive d’avoir l’impression de ne faire que croiser les gens même si je passe du temps avec eux car l’espace de la profondeur ne s’ouvre pas tout de suite.
Rencontrer, c’est m’ouvrir à l’autre, m’offrir à l’autre, lui donner à voir qui je suis, oser dire qui je suis, ce qui me traverse. Rencontrer, c’est aussi accueillir l’autre pleinement en restant moi-même. Bref, tout cela est très subtile et tolère difficilement les interférences! La rencontre, c’est comme une connexion furtive et intense entre deux personnes. C’est devenu un luxe ! Un moment de vie intense qui ne se reproduira pas tel quel. Ça peut durer une minute, quelques heures… en fait, peu importe car, dans ces moments là, le temps s’efface. Les personnes qui sont témoins extérieurs de cela disent souvent qu’ils ont l’impression d’une bulle, ils sentent qu’il se passe quelque chose.
L’histoire de Patrick me rappelle que la vie est précieuse, que chaque vie est précieuse.
Ma croyance est que la relation nourrit la vie en moi, en l’autre et bien plus que ça. Et mon expérience est que l’art de la rencontre et de la relation se cultive. Je le vois dans ma pratique professionnelle quand les membres d’un collectif ont la joie de se découvrir : de se montrer à l’autre, être vus tels qu’ils sont vraiment, entendus par l’autre et accueillis. Ça change tout ! La vie se remet à circuler.
Je le vois dans ma vie de tous les jours quand je suis en capacité de me poser à l’intérieur de moi pour faire mieux que croiser… Je sens la joie que me procure la rencontre et je sens comme elle me fait grandir. Je sens aussi comme c’ est bon et joyeux pour les personnes qui vivent cela avec moi.
Patrick évoque dans son témoignage un certain art de vivre découvert au détour d’une sacrée aventure. Il a vécu une traversée incroyable qui l’a amené dans une vie renouvelée, avec d’autres repères, un autre rapport au monde, d’autres lunettes. Une traversée qui l’a changé, un peu comme s’il avait changé de continent. La tempête à été rude mais il est debout !
Je me plais à penser que chaque rencontre offre une opportunité de voyage. J’aime cette expression de Toscane : « Vivre des échanges qui nous changent ». Des moments de vie intenses, profonds où la qualité de la présence laisse émerger le mouvement intérieur qui se verra par la suite à l’extérieur. C’est une bien belle manière de rendre la vie plus vivante, partout et en tout temps. Un peu de présence, d’ouverture et d’attention… ça change tout ! Ca ne paraît pourtant pas si compliqué, si ?
Bon, j’ai peut-être un peu disgressé mais j’ai suivi mon fil et ce qui me reste à la fin de tout cela c’est l’envie de saupoudrer de la vie dans ma vie, partout à tout moment. Chiche?