J’ai encore bien en tête la dernière session d’un parcours de formation que nous avons récemment co-animée avec Yves et Christelle, mes collègues. C’était à Angoulême, un vendredi, il faisait beau dehors et nous avions la chance de bénéficier de la Charente toute proche pour soutenir nos travaux. Nous avions entendu à plusieurs reprises que certains participants à ce parcours, qui durait depuis plus d’un an maintenant, s’interrogeaient sur « et après ? ». Sous ces deux mots se posait la question : « et maintenant que nous n’aurons plus ces rendez-vous, que faisons-nous ? Comment maintenir une dynamique ? ».
Nous avons alors décidé de mettre cette question au travail dans le groupe tout en pratiquant une approche que nous avions « passée », plutôt qu’enseignée, pendant ce parcours. Une manière de pratiquer une dernière fois avant de partir, une manière de se donner l’occasion de se l’approprier un peu plus tout en traitant un sujet « vivant » pour le groupe.
Au cœur de ce que nous « passons » il y a la croyance (et l’expérience!) que les équipes, et les personnes dans les équipes, se mettent en mouvement quand elles ont pu se connecter à leur élan, une vraie envie d’y aller parce que cela fait profondément sens pour elles. Cela paraît évident mais, en fait, pas tant que cela. En effet, qui n’a jamais entendu : « Ben, de toute façon, il faut le faire …», « Evidemment, on doit bien y aller mais bon, ce n’est pas de gaité de coeur ! », « Encore une lubie du chef, mais que veux-tu, on suit ! » ?
Alors ce que nous proposons, c’est un chemin pour se rapprocher de cet élan intérieur, individuellement et collectivement, le toucher, le sentir pour ensuite agir, ou décider en conscience de ne pas agir.
Seulement, parfois, il n’y a pas de parole incarnée au départ, juste une situation qui pose question à certains ou à tout le monde. C’était le cas cette fois-ci et nous avons décidé de la mettre « au centre » pour que le groupe et les personnes qui le composent puissent décider ce qui leur semblerait juste pour « cet après ». « Au centre », c’est vraiment au milieu car cette question n’appartient pas plus à l’un qu’à l’autre. C’est une question qui est là et la poser ainsi, c’est permettre à chacun de se positionner individuellement vis à vis d’elle et, ouvrir la possibilité qu’une approche commune émerge.
Nous avons posé quelques éléments de contexte et invité les participants à exprimer leur ressentis par rapport à cette fin proche. Pour certains, il a été facile de mettre des mots sur ce que cela leur faisait vivre. Pour d’autres, il a été plus facile de proposer tout de suite des propositions actions. Aller directement du problème à la solution, les schémas habituels ont la dent dure ! Ils nous amènent le plus souvent à rentrer dans l’action tout de suite, face à une situation vécue ; c’est comme un automatisme. Aller explorer ses ressentis apparaît alors comme un détour voire une perte de temps. Ce n’est d’ailleurs, la plupart du temps, même pas une option. J’ai bien rappelé plusieurs fois cette question : « Qu’est-ce que ça vous fait vivre ? Quels sont vos ressentis vis à vis de cela ? » Mais dans les réponses émergeaient encore des propositions d’action.
Et puis, au moment de proposer des actions, des pistes ont bien été proposées mais peu à peu, j’ai senti que le groupe était en train de remonter dans son mental pour chercher « ce qui pourrait bien être fait ». Pourtant l’intention de cette séquence n’était pas tant de faire une liste à la Prévert de choses possibles et pertinentes à faire. Nous connaissons tous et toutes ces listes de belles choses à faire issues d’échanges fructueux, de quoi se réjouir en fin de réunion et, souvent, être par la suite déçu.e par le peu de réalisation, non ?
Alors, là, l’intention était plutôt de sentir s’il y avait de l’élan pour faire des choses et si oui quoi. Quel pourrait être le prochain pas ?
Le groupe a finalement bien réussi à se recentrer sur son important et se dire ses intentions.
Nous avons clos ce parcours dans un climat de vérité et de confiance, comme j’aime.
Je suis ressortie de ce temps collectif avec un goût d’inachevé et cela m’a interrogée. Qu’aurais-je pu faire autrement ? Évidemment, c’est toujours facile de refaire l’histoire a posteriori. Ce qui m’a plu là, c’est de me poser cette question en toute simplicité sans ressentir le poids d’une culpabilité suite à quelque chose que j’aurais mal fait ; juste me poser la question de comment améliorer ma façon d’accompagner, ma posture. Réécrire l’histoire autrement, c’est aussi une manière de se créer une mémoire du futur pour ouvrir la possibilité qu’autre chose advienne une prochaine fois.
Je me suis d’abord dit que j’aurais pu plus parler avec mon cœur et mes tripes au tout début de cette séquence. Témoigner de ce que ça m’avait fait, moi, lorsque j’avais été à leur place quelques années avant. J’aurais aussi pu verbaliser à quel point ces temps où l’on met les situations au centre pour trouver ensemble une voie commune ont de la valeur pour moi. Mais je me suis arrêtée juste à poser quelques faits. Cela manquait de pulpe ! Et puis, au lieu de répéter la question sur les ressentis, j’aurais juste pu accompagner ce qui se passait. Partager ce que cela provoquait en moi : une certaine déception, peut-être. Poser encore une fois l’importance d’aller écouter à l’intérieur ce qui est et de le partager avant de passer à l’action. Comme un mouvement incontournable pour laisser émerger du nouveau et du sens.
Bref, je me suis rendu compte que je ne m’étais pas assez engagée moi-même dans cette séquence. Probablement n’étais-je, moi-même, pas suffisamment centrée sur le sens que cela avait pour moi.
J’ai beaucoup appris à ce moment-là. Et je suis heureuse de toujours et toujours apprendre. J’ai une étiquette de formatrice probablement parce que le monde a besoin d’étiquettes. Mais, en réalité, je ne fais que partager mon vécu, mes expériences, mes connaissances, mes prises de conscience. Et dans ces moments-là, pour bien faire mon travail, il m’est essentiel de rester connectée à moi-même tout en étant connectée au groupe. Et oui, me laisser traverser par le vivant, le mien et celui du groupe est essentiel pour que la vie circule dans le collectif… je le sais et pourtant…
Pour toute cette nourriture, j’ai de la gratitude. Gratitude pour mes collègues avec lesquels je suis en mesure de débriefer à cœur ouvert. Gratitude pour les personnes et les groupes que j’accompagne qui m’offrent, chaque fois, l’opportunité de grandir encore un peu.